De MADE IN CHINA à CREATED IN CHINA

MADE IN CHINA

« A ses débuts, Apple n’allait pas chercher très loin pour trouver des solutions industrielles. Quelques années après le lancement du Macintosh, en 1983, Steve Jobs rappelait à qui voulait l’entendre qu’il s’agissait d’“une machine fabriquée en Amérique”. Jusqu’en 2002, à peine deux heures de route séparaient le siège de l’entreprise, à Cupertino, de l’usine qui produisait les iMac, à Elk Grove, en Californie. Mais en 2004, Apple faisait déjà largement appel à des fabricants étrangers. Ainsi en avait décidé l’expert en logistique de l’époque, Timothy D. Cook, qui a succédé à Steve Jobs à la tête du groupe en août dernier, six semaines avant le décès du fondateur.
En 2004, la plupart des autres cons­tructeurs électroniques américains avaient déjà délocalisé leurs activités et Apple, qui traversait une mauvaise passe, voulait saisir toutes les opportunités. L’Asie était certes attractive parce que sa main-d’œuvre semi-qualifiée était meilleur marché. Mais ce facteur ne fut pas décisif. Pour les entreprises technologiques, le coût du travail est minime par rapport à ceux des composants et de la gestion des chaînes d’approvisionnement qui intègrent les composants et les services fournis par des centaines de sous-traitants. Pour Tim Cook, l’intérêt de l’Asie “se résume en deux points”, explique un ancien haut responsable d’Apple : les usines asiatiques sont capables ­d’“adapter plus rapidement leur capacité de production” et “leurs chaînes d’approvisionnement ont supplanté tout ce qui existe aux Etats-Unis”. De ce fait, conclut-il, “nous ne pouvons plus être compétitifs”. »
« “Toute la chaîne d’approvisionnement est maintenant en Chine”, confie un autre ancien dirigeant d’Apple. “Il vous faut un millier de joints de caoutchouc ? Vous les trouverez dans l’usine d’à côté. Un million de vis ? C’est dans l’usine au coin de la rue. Vous voulez que cette vis soit façonnée un peu différemment ? Ce sera prêt dans trois heures.”

Huit heures de route séparent l’usine de découpe de verre du complexe industriel où est assemblé l’iPhone [le Parc scientifique et technologique de Longhua, à Shenzhen, dans la province du Guangdong]. Ce complexe, surnommé Foxconn City, a achevé de convaincre les dirigeants d’Apple que la Chine pouvait fournir des ouvriers – et une réactivité – avec lesquels leurs homologues américains ne pouvaient pas rivaliser. Car rien de comparable à Foxconn City n’existe aux Etats-Unis. ​

Ce parc industriel emploie 230 000 personnes, dont beaucoup travaillent six jours par semaine et passent jusqu’à douze heures d’affilée à leur poste. Plus d’un quart d’entre elles sont logées dans les dortoirs de l’entreprise et beaucoup gagnent moins de 17 dollars [13 euros] par jour. Lors d’une visite, un représentant d’Apple arrivé à l’heure du changement d’équipe s’est retrouvé bloqué en voiture au milieu d’un flot d’ouvriers à pied. “C’est quelque chose que vous ne pouvez pas imaginer”, raconte-t-il. »

SHENZHEN MANUFACTURE MONDIALE

La machine est ton seigneur et ton maître...​ ​

« Parmi les principales entreprises de la chaîne de production mondiale basées en Chine figure Foxconn, multinationale taïwanaise de la sous-traitance de l'électronique. Foxconn est le nom commercial de la Hon Hai Précision Industry Company qui, avec un effectif de 1,4 million de travailleurs. est la plus grande entreprise du secteur privé en Chine et l'un des premiers employeurs au monde. ​

Forte d'une production destinée aux firmes, marchés et consommateurs des États-Unis, d'Europe et d'ailleurs, elle incarne l'Ascension triomphante de l'industrie d'exportation chinoise. Du fait de son expansion fulgurante en Chine, Foxconn était synonyme de réussite industrielle légendaire jusqu'en 2010, quand une vague de suicides très médiatisée dans ses usines et ses dortoirs a attiré l'attention du monde entier sur le côté obscur de ses conditions de travail.

[...]

Le pendant de la fascination contemporaine pour l'électronique est, dans la production, un régime fondé sur l'autocratie managériale et la corvée du travail à la chaîne, contradiction qui rappelle à quel point le concept marxiste de "fétichisme de la marchandise" n'a rien perdu de sa pertinence. » 

(Jenny Chan, 2013)

Croissance, Ton nom est souffrance ​

Un environnement dur est une bonne chose ​

Exécuter, c'est avoir intégré rapidité, exactitude et précision
Maximes philosophiques de Terry Gou, PDG de Foxconn
affichées sur les murs des usines
« Les surveillants répriment les ouvriers. Les machines les dépossèdent de leur sentiment que la vie a une signification et une valeur. Le travail n'exige aucune capacité de réflexion par soi-même. Les mêmes gestes simples sont répétés chaque jour, de sorte que les ouvriers perdent peu à peu leur sensibilité... ils ne sont plus accrochés au présent par leurs pensées.

Je me suis rendu compte que, pendant le travail, j'avais fréquemment des trous noirs. Comme j'avais déjà intériorisé tous les gestes du travail, je me réveillais en sursaut, ne sachant plus si j'avais traité la dernière pièce ou pas. Je devais alors demander à mon collègue. »

​Yang, 2012

Le modèle de production de Foxconn repose sur un taylorisme classique. Le processus est simplifié à un degré tel que les ouvriers n'ont besoin d'aucune connaissance spécialisée ni de formation pour effectuer la plupart des tâches. Les techniciens du département d'ingénierie industrielle utilisent régulièrement des chronomètres et des systèmes informatiques pour tester les ouvriers. S'ils atteignent le quota, les objectifs sont relevés au maximum.

Du Shanzhai à Shenzhen

Shanzhai

Dans la culture populaire chinoise, le Shanzhai est un village reculé, enfoui dans les montagnes, où des brigands avaient recréé une forme de société, loin des règles de l'empereur. Aujourd'hui le terme désigne surtout l'industrie de la contrefaçon chinoise
Ching Shih, pirate chinoise (1725-1844)

Les règles du Shan Zhai

Ne jamais partir de zéro. Construire à partir du meilleur de ce qui a déjà été fait par d'autres 
Adopter un processus incrémental d'innovation par petites étapes afin de maximiser la vitesse et les coûts
Partager autant que possible afin de faire connaître votre valeur par les autres et ajouter de la valeur au processus
Vendre avant de fabriquer
Agir de manière responsable avec les acteurs de la chaîne d'approvisionnement pour préserver sa réputation

Comment expliquer le succès des Shan Zhai ?

  • Pas d'investissement dans la recherche et développement : les produits sont copiés par rétroingénérie, puis produits avec des composants moins chers sans respecter ni normes ni régulations
  • Mise à profit de stratégies d'innovation incrémentale : créer un nouveau service en s'appuyant sur des services existants
De plus en plus, [le Shan Zhai] laisse la place à des industries légitimes... nées sur le terreau de la contrefaçon. Ainsi, affirme Clément Renaud, auteur de l'article dans le Pirate Book :
« La copie, la contrefaçon et le recyclage d'inventions préexistantes a contribué, non à détruire les industries préexistantes mais à les optimiser. Et surtout, elle a permis de former des milliers de fabricants chinois, tout en créant une économie locale tout à fait florissante. »

COPYRIGHT vs RIGHT TO COPY ​ ​

« [...] many Shenzhen factories have adopted a model of open source sharing in order to lower production costs. They have informally organized a peer to peer database for sharing hardware design schematics and the bill of materials (BOM), a list of materials used in manufacturing a particular product. The open sharing of these resources allowed the factories to lower production costs to stay competitive in a global market. ​ This form of open source manufacturing has co evolved with the formation of new production sites, including, for example, counterfeit/copycat design houses. Over the years, these copycat productions have adopted their process and moved beyond simply copying popular brands such as Nokia or Apple. Today they often produce new, consumer specific products such as mobile phones with additional features tailored to particular customer segments or location specific demands.  »
For now, what makes Shenzhen unique as a manufacturing hub is its ability to accommodate everything from the serious to the silly, from the experimental to the sustainable, from devices that alleviate poverty to gadgets that grab headlines. When we asked Zhang about the cultural DNA embedded in the products coming out of Shenzhen, he replied, “Products made in Shenzhen have a hundred percent Chinese DNA and a hundred percent Western DNA. A hundred percent Western because, even if they’re made in China, they are consumed by the world.”

Cycle de production Shenzhen

CREATED IN CHINA

« En 2004, la municipalité de Shenzhen a annoncé son ambition de construire une “capitale du design créatif” sous le slogan “From ‘Made in China’ to ‘Created in China’” [“De ‘Fabriqué en Chine’ à ‘Créé en Chine’”]. Peu après, une subvention de 300 millions de yuans a été débloquée pour soutenir les start-up créatives, et en 2008 Shenzhen est devenue la première ville chinoise à rejoindre le Réseau des villes créatives de l’Unesco en tant que “ville du design”.

Par comparaison, à Shenzhen, les seules agences de design emploient 100 000 personnes, auxquelles il faut ajouter les créateurs de mode et de bijoux, les architectes, les urbanistes, les travailleurs indépendants et les designers industriels employés dans les usines. D’anciens bâtiments industriels ont été transformés en centres de création, et comme ils ne sont généralement pas situés en centre-ville, il est facile et peu onéreux pour les jeunes designers d’avoir un lieu où travailler et collaborer. La municipalité a créé des maker spaces, une initiative également soutenue par le V & A. Les écoles de Shenzhen ont introduit l’art et le design créatif dans leurs programmes, ajoute Luisa Mengoni, et [l’application mobile] WeChat (ou Weixin) est devenue une importante plateforme de vente virtuelle pour les créateurs de Shenzhen. »