PROPAGANDE ET POST-VÉRITÉ

Redéfinir l'information en cette ère post-factuelle

« L'information, avant tout, sert des intérêts. Celui qui pourra transformer cette information en vérité, ou en apparence de vérité, gagnera sa cause. » ​

PROPAGANDE

La propagande peut être définie comme une technique d’action psychologique à l’égard d’une opinion publique, dans le but de l’influencer, de l’endoctriner ou de l’embrigader. De ce fait, le terme propagande est connoté par l’usage qu’en firent des régimes autoritaires ou totalitaires. Mais elle dépasse ce cadre, étant également un mode d’action dans le système politique concurrentiel des régimes démocratiques, et également dans le stade post-démocratique où entreprises et organisations non gouvernementales (ONG) en ont l’usage et le besoin. 

Edward Bernays et la propagande moderne

L'étude systématique de la psychologie des foules a mis au jour le potentiel que représente pour le gouvernement invisible de la société la manipulation des mobiles qui guident l'action humaine dans un groupe. [...]

À partir du moment où l'on peut influencer des dirigeants – qu'ils en aient conscience ou non et qu'ils acceptent ou non de coopérer –, automatiquement on influence aussi le groupe qu'ils tiennent sous leur emprise. 

Les effets de la psychologie collective ne s'observent toutefois pas uniquement sur ceux qui participent ensemble à une réunion publique ou à une émeute. L'homme étant de nature grégaire, il se sent lié au troupeau, y compris lorsqu'il est seul chez lui.

(Edward Bernays, Propaganda, 1928)

FAKE NEWS

La désinformation médiatique n'est pas une nouveauté. Il y a de la désinformation depuis le développement des premiers systèmes d'écriture. [...] Néanmoins, depuis que les plateformes en ligne, particulièrement les médias sociaux, sont devenus la principale source de nouvelles pour un nombre croissant d'individus, la désinformation semble avoir trouvé une nouvelle voie.

La numérisation des nouvelles ébranle les définitions traditionnelles des [médias et de l'information]. Les plateformes en ligne offrent des espaces pour les non-journalistes permettant de rejoindre des audiences de masse. La montée d'un journalisme citoyen remet en question les liens entre l'actualité et les journalistes, puisque des non-journalistes sont désormais engagés dans des activités de nature journalistique afin de produire du contenu journalistique, incluant des nouvelles d'actualité. [...]

La question des fasses nouvelles soulève la question de la nature des vraies nouvelles. [...] Puisque le but principal du journalisme est de fournir aux citoyens l'information ont ils ont besoin pour être libres et s'auto-gouverner, on attend du journalisme qu'il rapporte, par-dessus toute autre chose, la vérité.  [...]

D'un autre côté, les nouvelles sont construites socialement et les journalistes exercent souvent leur jugement subjectif sur chaque bit d'information à inclure ou exclure. Dès lors, les nouvelles d'actualité ne sont pas seulement vulnérables aux seules préférences des journalistes, mais aussi à des forces externes, telles que le gouvernement, les auditoires, et les publicitaires. Les nouvelles sont également une marchandise particulière, vendue à des audiences, lesquelles sont subséquemment vendues à des annonceurs, ce qui les rend également vulnérables au forces du marché.

RECONNAÎTRE LES INFOX

Portée par l'essor des médias sur la toile et l'activité des réseaux sociaux, l'expression anglo-saxonne fake news, qui désigne un ensemble de procédés contribuant à la désinformation du public, a rapidement prospéré en français. [...] Lorsqu'il s'agit de désigner une information mensongère ou délibérément biaisée, répandue par exemple pour favoriser un parti politique au détriment d'un autre, pour entacher la réputation d'une personnalité ou d'une entreprise, ou encore pour contredire une vérité scientifique établie, on pourra recourir au terme « information fallacieuse », ou au néologisme « infox », forgé à partir des mots « information » et « intoxication ».

APPLIQUER UN Modèle de pensée critique

  • Lire le titre
  • Lire tout l'article
  • Ne pas croire un mot de tout ce qu'on a lu sans avoir validé les faits et les sources. Sont-ils crédibles ? Pourquoi ?
  • Faire une rapide recherche pour voir qui d'autre a couvert cette histoire. Qui en a traité ? Comment ?
  • Est-ce que vous vous sentez manipulé ? Quels sont les techniques rhétoriques employées ?

5 questions pour évaluer une information

  • Qui a composé ce message ?
  • Quelles techniques créatives sont utilisées pour attirer mon attention ?
  • Comment d'autres personnes pourraient comprendre ce message différemment ?
  • Quels sont les modèles, les valeurs, les points de vues qui sont représentés – ou omis – dans ce message ?
  • Pour quelle raison ce message est-il envoyé ?

POSTVÉRITÉ

Image : La trahison des images, René Magritte (Centre Pompidou, Paris)
Le mensonge, la contrefaçon, le mépris des faits que nous constatons aujourd’hui relèveraient donc d’une maladie que l’on peut enfin nommer. Nous voici entrés dans l’ère de la post vérité. Ou plutôt de la post-truth, car la notion est américaine.

Ralph Keyes [...] rédige en 2004 L’ère de la post vérité : malhonnêteté et tromperie dans la vie contemporaine. C’est d’abord un manifeste moral. Méfiez vous de tout ce qui se réclame d’une forme de nouveauté, dit en substance Keyes. Gare au « nouveau journalisme », à la « nouvelle histoire » prévient l’auteur. « Une flamboyante subjectivité » règne sur tous ces écrits, lance-t-il. Et la valeur vérité d’être mise à mal. Les couples fiction versus non fiction, réalité versus littérature, truquage versus honnêteté constituent les bases de cette mise en garde. [...] Keyes évoque longuement les années 90 et 2000, où plusieurs publications ont subi de graves accusations d’articles bidon, rédigés par des reporters de guerre, envoyés spéciaux… chez eux. [...] Fait aggravant, le storytelling des puissants tels Clinton ou Bush a permis tous les accommodements avec la vérité. Leurs mensonges sont bien connus dans la sphère intime comme dans les conflits internationaux. Sans parler d’internet où l’on ne sait qui se cache derrière une identité d’emprunt, « s’il s’agit d’un chien ou d’un humain » grince Keyes. 

La post vérité, un choix de société ? Tel est le diagnostic posé par le dramaturge serbo-américain Steve Tesich en 1991. Une époque, remarquons-le au passage, où internet inaugure à peine ses premiers sites. Ce serait pourtant lui l’inventeur de l’expression « post truth » dans son acception la plus contemporaine. S. Tesich affirmait alors dans l’hebdomadaire américain The Nation : 
« Nous devenons rapidement des prototypes d'un peuple que les monstres totalitaires ne pouvaient concevoir que dans leurs rêves. Jusqu'à présent, tous les dictateurs ont dû travailler dur pour réprimer la vérité… Fondamentalement, en tant que peuple libre, nous avons décidé que nous voulons vivre dans un monde post-vérité. »
Autrement dit, après le Viet Nam, le Watergate, la lassitude, l’écoeurement populaire ont commencé de dévaloriser la vérité. Pire, nombreux sont ceux qui en seraient venus à écarter la vérité parce que toujours synonyme de « mauvaises nouvelles » telles que la corruption ou les manipulations essentiellement politiques. Aux yeux de cette « opinion » mieux vaut désormais un « gouvernement des mensonges » - titre de l’essai de Tesich - qui protège des méfaits de la vérité.